'Le secteur de la construction et de l'immobilier doit s’unir pour sortir de la crise'
Le secteur de la construction et de l’immobilier traverse une période difficile, et une amélioration rapide n’est pas en vue. L’activité ralentit, alors même qu’il existe de nombreux défis sociétaux nécessitant de construire, rénover, démolir et reconstruire. L’importance et le potentiel du secteur de la construction sont aujourd’hui largement sous-estimés, bien que l’industrie manufacturière fasse l’objet de préoccupations légitimes. Tout le monde a intérêt à miser sur l’innovation dans la construction pour générer une croissance supplémentaire. Les pouvoirs publics, le secteur de la construction et celui de l’immobilier doivent collaborer pour relever ces défis.

INTERVIEW avec Caroline Deiteren
Directeur-Général Embuild Vlaanderen
Comment évaluez-vous le marché de la construction en 2024 ?
L’année a offert peu de points positifs pour le secteur de la construction. Après une croissance nulle en 2022 et 2023, l’activité a reculé de 0,4 %, contrairement aux économies belge et flamande dans leur ensemble, qui ont connu une croissance. Le marché du logement traverse une grave crise. Alors qu’il y a un besoin croissant de logements, le nombre de nouvelles constructions a diminué pour la troisième année consécutive. La baisse de l’année écoulée (-7,4 %) a été la plus importante depuis 2021. Pourtant, tous les experts, tant en Belgique qu’à l’étranger, s’accordent à dire qu’il est nécessaire de construire davantage pour ne pas accentuer la pression sur l’accessibilité financière des logements. En parallèle, les rénovations stagnent, alors qu’elles devraient au moins tripler pour atteindre les objectifs climatiques.
Attendez-vous une amélioration rapide ?
Peu de personnes sont optimistes à court terme pour l’ensemble du secteur. Pour la construction neuve, un faible redressement est attendu en 2026 ou 2027. Une forte diminution des coûts de construction, en particulier des coûts salariaux, est improbable. Les taux hypothécaires ont légèrement baissé, mais cette tendance ne semble pas se confirmer, contrairement à ce que certains espéraient.
Les prévisions pessimistes reposent sur des indicateurs solides. Les demandes de permis, par exemple, constituent un baromètre important. Au troisième trimestre de 2024, seulement 11 243 demandes ont été enregistrées, contre 25 427 en 2019. Par ailleurs, il faut environ 90 jours pour qu’un permis soit approuvé (sans compter les recours et procédures préalables). La construction débute généralement dans les deux ans suivant l’obtention du permis. Environ 70 % des demandes sont approuvées, mais toutes ne donnent pas lieu à des travaux, en raison de recours prolongés ou de problèmes de financement.
Les perspectives sont-elles meilleures pour le reste du secteur ?
Le nombre de demandes pour des projets de rénovation, de réutilisation ou de démolition a augmenté entre 2018 et 2022, mais il s’est stabilisé au cours des deux dernières années. Une forte impulsion de ce segment du marché semble peu probable. L’année 2025 sera également plus difficile pour les infrastructures. Durant la première année d’une nouvelle législature, moins de projets arrivent à l’étape d’exécution. De plus, de nombreuses entreprises reportent leurs projets en raison des tensions géopolitiques et des incertitudes politiques et économiques, tant dans les pays voisins qu’en Belgique.
L’économie belge se porte-t-elle mieux que celle des pays voisins ?
Cela ne s’applique pas au secteur de la construction. Au contraire. Les problèmes, comme ceux liés aux permis, peuvent s’éterniser. Le gouvernement flamand a mis en place une commission d’experts, soutenue par Embuild Vlaanderen, pour aborder ces questions. Nous fournirons notre contribution, mais les solutions ne seront pas immédiates. De plus, une partie des obstacles réside dans une multitude de règlements locaux et de divergences de visions, ce qui nécessitera des années pour être clarifié.
En matière de rénovation, les initiatives politiques restent insuffisantes. Par exemple, le transfert de la taxe sur l’électricité vers le gaz pourrait stimuler le secteur, mais les détails et le calendrier restent flous. Le nouvel accord de coalition flamand contient également des mesures difficiles : la prime « Mijn VerbouwPremie » sera réduite, le taux réduit des droits d’enregistrement pour une rénovation énergétique en profondeur a été supprimé, et l’obligation de rénovation pour atteindre le label D a été gelée, avec un délai prolongé d’un an pour les acheteurs.
Cela ne semble pas très encourageant…
Nous nous tournons vers le gouvernement flamand, qui détient la plupart des compétences dans ce domaine. Le temps presse. Jusqu’en 2023, les faillites étaient relativement moins fréquentes dans les entreprises de construction en Flandre qu’à Bruxelles ou en Wallonie. Ce n’est plus le cas. De même, avant 2019, les taux de survie des nouvelles entreprises étaient plus élevés en Flandre. Cela aussi a changé.
Cependant, je reste optimiste à long terme pour le secteur. La demande en logements et infrastructures continuera d’augmenter. Les décideurs flamands sont conscients que plusieurs solutions sont nécessaires pour sortir de la crise et rendre le logement plus abordable en Flandre.
Quelles sont pour vous les priorités pour donner un coup de pouce au secteur ?
Tout en haut de la liste figurent les procédures de permis. Elles doivent être simplifiées et raccourcies. La transition dans le secteur de la construction ? Nous sommes prêts à y adhérer, mais en tant que régulateur, mettez davantage l’accent sur ce qui est possible, et non sur une liste interminable de restrictions. Il y a trop de réglementation au niveau des rues ou des quartiers, trop de détails. Nous sommes également favorables à collaborer avec le gouvernement pour développer le “digital permitting”. Cela permettrait de gagner beaucoup de temps et d’argent pour tout le monde si une personne qui soumet une demande de permis de construire pouvait, d’un simple clic, voir immédiatement l’impact d’une modification de sa demande sur les chances d’obtenir le permis.
Y a-t-il du mécontentement dans le secteur de la construction concernant la fiscalité liée à la construction et à l’immobilier ?
Les règles fiscales doivent être logiques, simples et ne pas fausser la concurrence. Ce n’est pas toujours le cas. Pour une première et unique habitation, les droits d’enregistrement passent de 3 % à 2 %. Mais ceux qui achètent un terrain à bâtir doivent toujours payer 12 % de droits d’enregistrement, et généralement encore 21 % pour la construction. De telles situations conduisent à rénover des maisons qui, logiquement, devraient simplement être démolies. Parallèlement, nous voyons trop peu de signaux indiquant qu’une rénovation est utile et nécessaire. L’obligation de rénovation a suscité beaucoup de débats, comme si elle allait ruiner les acheteurs, alors que c’est le contraire qui se produit. Le prix des logements énergivores avec un label énergétique F est aujourd’hui inférieur de 145 000 € à celui des logements économes en énergie avec un label A (source : Fednot). C’est encore une preuve que l’obligation de rénovation est une mesure utile qui permet aux acheteurs d’un logement énergivore de conserver un budget pour effectuer les travaux nécessaires. L’obligation de rénovation est ainsi devenue une incitation financière à la rénovation.
Quelles innovations technologiques auront, selon vous, le plus grand impact sur l’ensemble du secteur dans les années à venir ?
- La construction modulaire va créer de nombreuses nouvelles opportunités. De plus en plus d’entreprises s’y investissent réellement. Les améliorations de productivité que cela permet sont énormes.
- La numérisation. Le secteur de la construction en Flandre est déjà en tête dans l’UE en termes de productivité du travail et de numérisation. L’ambition d’Embuild est de continuer à progresser dans ce domaine et d’embarquer tout le secteur, y compris les petites entreprises. Une approche progressive est tout à fait acceptable. Avec des investissements relativement modestes dans des caméras et des drones, on peut déjà obtenir des résultats spectaculaires. Le BIM n’a pas besoin d’être mis en œuvre de A à Z immédiatement, mais une connexion partielle avec ce que font les entrepreneurs principaux ou les fournisseurs dans ce domaine est déjà très précieuse. La professionnalisation et l’harmonisation des systèmes sont essentielles. Nous devons donc abandonner la mentalité cloisonnée, ce qui doit également conduire à un meilleur contrôle des coûts.
- La construction circulaire. Nous attendons également des progrès dans ce domaine, notamment parce que les banques et les grandes entreprises exigent désormais des rapports plus détaillés à ce sujet pour toute la chaîne. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour perfectionner les modèles économiques, mais il n’y a pas de retour en arrière possible.
Vous êtes en poste depuis six mois en tant que directrice générale d’Embuild Vlaanderen. Qu’est-ce qui vous a positivement surprise ?
Je suis agréablement surprise de voir combien de membres travaillent dur et s’investissent dans le domaine de la durabilité et de l’innovation. C’est incroyable de voir toutes les idées que les entreprises de construction proposent et comment elles investissent pour les transformer en résultats concrets. Est-ce que l’on exagère avec l’ESG en Europe et chez nous ? En ce qui concerne les rapports, on peut se demander si cela est toujours efficace. Cependant, je constate que beaucoup d’entreprises n’ont pas besoin de la pression des autorités pour s’engager pleinement dans la durabilité. Elles comprennent qu’il y a aussi un avantage compétitif. Personne ne veut être en retard par rapport à ce que font ou planifient leurs concurrents nationaux et internationaux. Cela finit par coûter cher. Nous devons donc nous assurer de suivre le rythme et, si possible, de prendre de l’avance. C’est une nécessité économique. Regardez ce qui s’est passé avec les voitures électriques et comment les constructeurs automobiles européens se sont fait dépasser. Nous ne pouvons pas permettre qu’un tel scénario se reproduise dans notre secteur. Les bonnes priorités doivent être définies. Plus de projets concrets, moins d’accent sur des rapports trop détaillés.